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Passages d’Encres

TERRA COGNITA LE DIVISEMENT DES MONDES
Coordination Yves Boudier
Décembre 2001
Un théâtre de marionnettistes

Le marionnettiste a une pratique ambiguë. Il joue dans deux espaces différents, parallèles, contigus. Un des espace est réel ; l’autre est fictif, relatif et poétique. Cette ubiquité du marionnettiste présente du point de vue de la scénographie (la géographie du théâtre) des particularismes de description et de notation.

Pour garder la mémoire des action visibles et invisibles du public, le metteur en scène ou les acteurs ont recours a des notations. Ces notations se révèlent indispensables lors de la passation d’un rôle. Les notations individuelles des acteurs et du metteur en scène, assemblées, constituent le relevé le plus exact qui soit du spectacle. La partie immergée de l’iceberg.

Voici, pour exemple, trois systèmes de conduite d’acteur. Dans ces extraits les deux espaces (celui du marionnettiste et celui de la marionnette) ont même valeur de nécessité.

Le premier exemple

produit un texte technique et descriptif du jeu d’un seul des acteurs, alors que la marionnette est manipulée de concert par deux acteurs. Ce relevé sur le vif élude le mouvement général pour saisir l’action dans son déroulement seconde après seconde. Image par image.
On voit que la marionnette ne joue pas sans texte. La didascalie domine ce genre théâtral ; mais, si l’auteur de théâtre a des exigences d’ambiance, le « compositeur en marionnette » s’aventure dans le sens de l’infiniment précis…
Extrait de la conduite de Gilbert Épron
dans « Le Monde à l’envers » / Théâtre Sans Toit

Polichinelle revient au sol (changement contrôle main gauche)
Regarde
Prend sa main
Prend son pied avec sa main
(point fixe au sol)

impulsion : son pied se dégage
tire avec la tête
au sol il a mal au pied
sautille aïe aïe
va à jardin et s’assoit sur le sac
pose son pied
reprend son pied dans la main (reprise de Paota sur le pied)
le suçote
regarde vers jardin
lève son pied au ciel
debout.

sautille sur le sac vers cour (s’écarter de la bande pour laisser
le contrôle des pieds par Paota)
la tête revient doucement vers le pied

avec Paota :
Lâcher la main qui tient en équilibre sur le pied tenu par Paola
Prise de la main par la manche du Polichinelle

Accompagner la descente du pied
Aïe
Secouer la main, douleur
Se calme
et pose son pied doucement
Soulagement

Se tourne vers la brouette (à cour)
Va vers la brouette, main en avant (préparation main gauche)
(avec un pied qui boite contrôle Paota)

Impulsion du bras de Polichinelle faisant tourner Marie-Za dont le corps fait castelet.
Entrée Brouette en lumière, sur corps pirouetté de Marie-Za.

Le deuxième exemple

est une tentative de chiffrage des mouvements. Une sorte d’écriture sténographique qui saisirait le mouvement de la marionnette, pour le reproduire. Il s’agit cette fois d’une tablature exécutée d’après des exercices de la grammaire élémentaire de manipulation d’André-Charles Gervais.
Si la marionnette est bien un instrument dramatique, analogue à un instrument de musique, elle doit pouvoir appuyer son jeu sur la lecture d’une partition.

Le troisième exemple

est un rendu graphique des mouvements de la marionnette dans l’ensemble scénique (donc les autres marionnettes). Des annotations situent les mouvements essentiels et dissimulés de l’acteur. La bande dessinée et le dessin animé sont, on le voit, très parents. Gaston Baty dans une formule disait que « la marionnette est au théâtre ce que le dessin animé est au cinéma ».

Pierre Blaise