Parutions

La Permanence du Neuf

CAHIERS OMNI Nº10 TRIBUNES
Octobre 2007

La multiplication des spectacles avec des marionnettes est comme celle des « blogs ». La création devient une coquetterie passagère. On est en quête de l’originalité, du distinguo qui focalisera l’attention. C’est le syndrome du « m’as-tu-vu ? ». Une bonne façade suffit à faire illusion un moment.

La marionnette ne doit pas négliger ce qui en fait sa vraie saveur : le théâtre. L’exercice du théâtre est moins simple d’emblée. Son histoire critique et esthétique est connue des publics, contrairement à celle de la marionnette. Sa pratique est plus exacte. Bien sûr, le théâtre ne se passe pas plus de visuel que la marionnette, mais il se fonde sur la pensée. Et parfois il choisit l’art de la marionnette comme interprète de cette pensée.

Le visuel ne s’appuie-t-il pas sur la pensée ? Sans doute, s’il se met au service de l’idée. S’il cherche la justesse plutôt que le décorum. S’il évite les travers de la « communication » et de « l’image », dans leur sens publicitaire (d’ailleurs, la publicité n’est pas un art ; c’est, au plus, un gagne pain pour des artistes).

La pensée n’exclut ni la fantaisie, ni la fatrasie, ni l’humour. Ni la simplicité. Ni la liberté des artistes à vagabonder, à jouer avec le désordre. A être insensés. Le rôle de l’artiste ne peut s’arrêter à la mise en scène de sa propre personne. Sa lucidité est son outil principal. Il forme le monde. S’il s’attarde à la manipulation des idées en vogue ou s’il se complaît dans la séduction, il ne fabrique plus de spectacle mais seulement du spectaculaire. Il contribue ainsi à la confusion mentale ambiante. Celle qui occupe les esprits par son vernis coloré.

Je suis frappé de cette sorte d’inconscience, ou d’insouciance à croire pouvoir jouer devant un public, dès qu’on a touché un objet, fabriqué une grimace en papier mâché, observé l’effet burlesque d’une dissociation. Je suis étonné de cette faculté à se croire nouveau, rien qu’en apparaissant : « Regardez, je suis neuf, tout est neuf ! ». Aujourd’hui on adule la nouveauté, voire l’inachevé.
Quand Stanislavski fonde le Théâtre d’Art, c’est pour répondre à la dispersion des acteurs. Tous avaient leurs façons de jouer. Obtenir cohérence et unité dans un spectacle était impossible. La « méthode » est née du refus par Stanislavski de l’empirisme dans le métier de l’acteur. Ses recherches ont été fondatrices. Elles ont permis l’épanouissement de personnalités artistiques fortement différentes : Meyerhold, Taïrov, Obratzov, dans le domaine de la marionnette, etc.
J’aime le passé. C’est un socle pour une intention artistique qui ne cherche pas à être neuve. Mais qui cherche à « être ». Je sens, à la veille des « Saisons de la marionnette », que l’empirisme dans notre art n’est pas de mise. La déception ou la lassitude des publics pourrait être le tribut de l’insouciance. Il y a la féconde nécessité de se réapproprier l’histoire du théâtre et du théâtre de marionnette. Mais le théâtre de marionnettistes est comme l’Eléphant de Tolstoï. Chaque artiste, et moi le premier, est un aveugle qui n’en conçoit qu’une petite partie. Et nous nous disputons sur ce que chacun croit savoir du tout.

Pierre Blaise