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Entretien avec Pierre Blaise

MANIP
N° 19 – Juillet Août Septembre 2009
Pierre Blaise : un nouveau président pour THEMAA

Tu viens d’être élu à la tête de THEMAA. Comment envisages-tu cette présidence ?

J’étais dans le CA précédent, j’ai donc suivi les actions de l’association et les projets en cours. Il y aura donc selon moi priorité à la continuité dans les travaux entrepris. Il faudrait que tous les chantiers ouverts se réalisent et soient développés par les propositions du nouveau conseil d’administration.

THEMAA doit continuer à transmettre le goût et la connaissance de la marionnette. Aujourd’hui l’identité de cet art est, me semble-t-il, acquise. Il reste à faire admettre que la marionnette est devenue un objet « d’exception culturelle », voire qu’elle est « d’utilité publique » à partir du moment où elle mutualise un nombre certain de professions et qu’elle touche tant de catégories de spectateurs.

THEMAA est une mémoire du présent, importante pour l’avenir. En cela THEMAA est, de fait, un organe de transmission. Pour ces raisons, THEMAA est aussi un outil politique.

D’ailleurs, le théâtre de marionnette s’inscrit peut-être plus facilement que le théâtre d’acteurs sur les territoires, de par sa mobilité et de par sa faculté de séduire par l’image, bien que la marionnette soit paradoxalement une sorte d’antidote à l’excès d’image parfaite, au « fini audiovisuel ». C’est un théâtre de l’image indicative, qui parie sur l’imaginaire. C’est son action essentielle. Et cela dépasse l’initiative artistique des compagnies considérées individuellement. Et cela les rassemble.

THEMAA est une émanation des compagnies. Avec bien sûr, dans les cercles concentriques, la création, les diffuseurs, les programmateurs et le public. D’où l’opportunité pour les marionnettistes de s’inscrire dans un mouvement global. Par le travail accompli, THEMAA a pris de l’envergure. De fait, c’est à chacun d’estimer en quoi l’outil THEMAA peut lui être utile. Cet outil est à disposition.

THEMAA n’est pas une vitrine comme peuvent l’être des réseaux de production et de diffusion. La motivation de THEMAA, c’est de comprendre un art sur le vif, incluant justement ses vitrines, ses fonctionnements, ses formations, ses recherches, ses développements. Et, par exemple, de mettre cet art au service d’autres formes artistiques. Ce qui est enthousiasmant dans ces nouveaux débuts à THEMAA, c’est de travailler « en compagnie » et de bonne compagnie.

Justement, en parlant de compagnie, comment est né le « Théâtre Sans Toit » ?

Nous avions acquis une formation de comédiens à l’école Dullin, particulièrement autour du geste et du mouvement. Nous sommes allés jouer dans la rue, ce qui était encore rare en 1977. A partir du jeu masqué, puis du masque sur la main, est venu tout naturellement le travail avec la marionnette.

Vous êtes passés ainsi de la rue à la salle ?

Nous sommes restés longtemps à jouer dans la rue. Le « Théâtre Sans Toit » s’est associé un temps avec une autre compagnie, le « Théâtre de la Mie de Pain » : c’est ma première rencontre avec Gilbert Epron. Nous avons commencé à jouer en salle, suite au premier stage de marionnettes taïwanaises de Jean-Luc Penso. En utilisant cette technique, j’ai monté un Roman de Renart avec les collaborateurs de la première heure qui, depuis, ont fait leur chemin dans le monde de la marionnette : Grégoire Calliès, Catherine Sombstay, Nicolas Vidal et Hélène Wertheim. Ce Roman de Renart a reçu un prix à la biennale de la Marionnette qu’organisait à cette époque Alain Lecucq à Caen. Ce fut un véritable coup de pouce qui nous a permis de tourner et de structurer économiquement le Théâtre Sans Toit à partir de 1984.

Une rencontre a été importante pour toi : celle d’Antoine Vitez ?

Cette rencontre passe par Alain Recoing. Il m’avait engagé sur La Tentation de Saint Antoine d’Eloi Recoing. Quand Antoine Vitez a pris la direction du Théâtre National de Chaillot, il a mis en place « Le Théâtre des enfants ». C’était un théâtre de marionnettes. Vitez a imposé le castelet car il en aimait les règles du jeu. Il a donc demandé à Yannis Kokos d’en construire un. Alain Recoing a malicieusement transformé ce castelet en se jouant des règles. Je me trouvais donc dans cette équipe de création et je suis entré à Chaillot. C’était une situation fort privilégiée. Je crois que je ne me suis pas trop mal débrouillé dans les rôles que j’avais à assumer. Du coup, j’ai eu d’autres propositions de la part d’Agnès Van Molder, d’Isil Kasapoglü, et surtout de Daniel Soulier, qui montèrent des spectacles successifs. Et puis j’ai osé présenter un projet à Antoine Vitez, Les Aventures du petit Père Lapin d’après Chandler Harris. Il m’a donné les moyens de le monter. Il faut savoir qu’à cette époque, c’était le seul théâtre à Paris qui montrait des spectacles jeune public de marionnette avec une fréquentation très importante. Et les moyens de créations étaient proportionnellement égaux aux moyens du théâtre d’acteurs en termes de temps, de personnel technique et de financement. Ce fut donc vraiment le premier spectacle complexe que j’ai réalisé. Ce spectacle présentait une variation ironique sur ce que l’on pouvait s’attendre à voir en termes de spectacles pour les enfants. Le lapin n’était pas un doudou gentil mais un être cruel et sardonique. Tout se passait dans le castelet ; et grâce à l’habileté de Frédéric Marquis, notre décorateur, s’y concentraient les trucages et systèmes conventionnels avec tout le vocabulaire des apparitions, disparitions, transformations. Par la suite, j’ai monté Grain de sel en mer d’après Eugène Sue au Grenier de Toulouse à l’invitation de Jacques Rosner, spectacle qui a été présenté également à Chaillot. Puis, en 1989, Tout le cirque magnifique créé à Chaillot également, avec une équipe qui se dessinait de plus en plus : Veronika Door, Gilbert Epron, Eric Malgouyres, Nicolas Quilliard, Joël Simon pour les musiques, Jean-Christophe Sohier pour la régie.

Qu’est-ce que c’était que ce « cirque » ?

Dans ce spectacle, il y avait deux personnages principaux : La Farine, représentant le clown blanc sensible et mental et le Directeur du cirque qui était un personnage rouge et colérique. La création avait lieu au moment où Antoine Vitez allait devenir administrateur de la Comédie Française, tandis que Jérome Savary lui succéderait à Chaillot. Entre nous, ce clown blanc incarnait en fait Antoine Vitez et ce personnage rouge, haut en couleur, représentait Jérôme Savary. Le spectacle s’est finalement articulé entre ces deux personnages-pôles comme pour marquer la succession contradictoire des deux metteurs en scène. Ceci dit pour l’anecdote. Mais le Cirque magnifique, c’est le monde renversé. Qui est le propre de la marionnette. Le deuxième souvenir que j’ai aussi du Théâtre sans Toit, c’est L’Homme invisible… C’était un petit peu particulier. Le but du jeu était de transformer le jeu de l’acteur en le cachant, pour qu’avec les marionnettes, il puisse inventer un autre jeu, qui soit impossible à l’acteur. L’Homme invisible traitait exactement le sujet : jouer des paradoxes d’un acteur qui est bien là (sinon les marionnettes ne s’animent pas) mais qui demeure invisible, qui est caché en l’occurrence à la fois par des décors-castelets et par un rideau de lumière. J’ai prolongé ces recherches autour du paradoxe du marionnettiste avec Les Habits neufs de l’empereur. C’était presque la proposition inverse puisque c’est l’habit de l’Empereur qui était invisible. J’aime ces facéties en abyme par rapport au marionnette. Il y avait quelque effronterie à mettre les acteurs dans une situation inconfortable. Au fond ils s’y plaisaient. C’était le jeu qui était demandé.

Comment se pose la question du répertoire pour toi ?

Nous avons longtemps tourné un répertoire de quatre ou cinq spectacles ensemble. Aujourd’hui – et c’est une nuance – le Théâtre Sans Toit a quatre spectacles disponibles pour les programmateurs. On ne peut tout garder du répertoire. Chaque fois, il y a des formes que l’on découvre, que l’on essaie. C’est peut-être ce qui fait la manière du Théâtre Sans Toit. Changer les formes plutôt que complaire dans un mode de représentation repérable. C’est une façon de s’approprier et comprendre, sous des angles divers, quelques thèmes qui toujours nous importent puisqu’ils réapparaissent presque malgré nous. La naissance et la mort, l’absence et le rêve. Maintenant nous nous penchons sur les rapports instrumentaux que la marionnette entretient avec l’instrument musical. Les rapports avec les moyens picturaux sont constants.

Comment se pose la question du public pour toi et en particulier du jeune public ?

Le jeune public offre la possibilité d’inventer des spectacles hors du commun. Les enfants n’ont pas les mêmes a priori. Ils te donnent une très grande liberté dans la création. Et en même temps, il y a des contraintes à surpasser. Contraintes de temps, contraintes d’expression, contraintes de renouvellement des effets, contraintes sociales. Et il me semble justement que la marionnette a changé le théâtre par les enfants. Et que c’est par les spectacles pour les enfants que l’on parle d’un spectacle de marionnette pour adultes. Ne serait-ce que par antiphrase. Le spectacle pour adulte n’est plus un objet incongru dans les mentalités. Mais c’est ce dynamisme imaginaire que les enfants offrent qui me paraît stimulant. Lorsque nous montons un spectacle pour les adultes, le public virtuel des enfants nous est un repère. Ce que nous arrivons à faire pour les enfants, même les adultes peuvent le voir… en moins bien. C’est un peu une paraphrase chaotique de Stanislavski.

Justement tu travailles actuellement sur un projet autour de Stanislavski ?

Le dernier cri de Constantin est une défense et illustration amusée du cours de Stanislavski puisque le professeur donne des cours à des marionnettes. La transmission est prise en défaut. On voit bien comment une transmission s’articule pour partie sur l’incompréhension. Le pari est de présenter un acteur en train d’essayer d’enseigner à des marionnettes ce qu’il est impossible pour elles de faire. Les marionnettes transposent la vie et c’est cette transposition qui nous intéresse d’abord.

La transmission est aussi quelque chose qui te concerne dans ton métier ?

Pour moi, c’est essentiel. On ne fait que ça. C’est le lieu même de la réflexion sur la marionnette, son établi. La marionnette a toujours été un outil pour les acteurs. C’est un outil de compréhension du théâtre et même un outil de compréhension de la vie. C’est par la transmission qu’il y a la réflexion la plus foisonnante sur le métier. Et pas seulement sur le métier mais sur l’art. Il m’est donc indispensable d’avoir parallèlement une réflexion sur la formation. J’ai eu la chance d’enseigner ici et là, et notamment à l’ESNAM. On réexpérimente inlassablement, par le regard d’autrui, le projet de prêter vie aux objets.

Il y a aussi une nouvelle collaboration avec Thierry Lenain.

J’ai monté un texte de Thierry Lenain, Les Anges, en 2003. Puis il y a eu cet appel d’offre l’an dernier dans le cadre du Festival Théâtral du Val d’Oise qui proposait un partenariat à un « binôme écrivain-metteur en scène ». Notre projet a été retenu. Thierry est le premier auteur avec qui j’ai travaillé dans le domaine de la marionnette. Pendant TAM-TAM, nous présenterons Est-ce que les insectes qui volent se cognent parfois ou est-ce qu’ils s’évitent toujours ? – j’aurai peut-être une réponse quand le spectacle sera prêt !…

Propos recueillis par Patrick Boutigny